se réjouissaient à l'avance Glouglou et ses acolytes, à l'idée de retrouver leurs héros préférés, carabines chargées et n'attendant plus que notre complicité pour ouvrir leurs pétaradantes hostilités. Le patron de l'établissement, dans l'attente de notre arrivée porteuse d'espoirs sonnants et trébuchants, retardait avec angoisse le début de la projection, la sonnerie d'avertissement résonnant alors comme un interminable appel au secours. Quand enfin la troupe tapageuse se profilait au bout de la rue, il pouvait enfin remercier le ciel : la recette était sauvée ! Fallait-il encore que nous nous cotisions pour payer l'entrée de Jaja et Miguelico, nos parasites attitrés, au prétexte que leur talent incontesté d'amuseur public justifiait bien cette petite compensation.Quoiqu'il en soit, c'est depuis cette époque bénie que je ressens en moi une sainte horreur de ces cow-boys insupportables aux jambes exagérément arquées, tout juste bons à protéger les diligences postales et à mettre hors d'état de nuire des bandits teigneux croisés inopinément dans des sordides saloons. Mais bon, chacun son plaisir...
Pour occuper notre temps de loisir, et Dieu sait qu'il était extensible pour des cossards de notre espèce, il y avait le foot, bien sûr, suivi du sempiternel bal dominical, et puis surtout, il y avait le cinoche. On comptait cinq ou six salles de cinéma dans la ville dont notre préféré: le Palmarium. La télé n'étant pas encore arrivée jusqu'à nous, le 7ème Art restait, plusieurs fois par semaine, notre distraction nocturne favorite. Ce divertissement à vocation plus ou moins culturelle qui, en principe, aurait dû provoquer, en fonction des goûts de chacun, la dislocation logique de notre groupe de faubouriens, n'allait hélas en rien altérer l'esprit de bande qui régissait nos comportements. Pas question en effet de se disperser au gré des préférences personnelles : le choix du film de la soirée se faisait à main levée et ne laissait aucune place à l'individualisme. Autant dire que les cinéphiles, auxquels vainement je tentais de m'identifier, étaient obligés, par le jeu de la démocratie, de se farcir dans les salles de quartier et surtout au Palmarium de l'avenue Kléber, des westerns de troisième catégorie qui faisaient le bonheur de la majorité. "Estan cargando las pistolas !"